Hier encore tabou, aujourd’hui exigé : la transparence des rémunérations s’impose peu à peu comme un droit des salarié·es, et comme une nouvelle responsabilité des entreprises. Mais est-ce une révolution salvatrice… ou un casse-tête administratif de plus ?
On ne parle pas d’argent ?
Traditionnellement, le salaire se chuchote. En France, on préfère dire “j’ai changé de boîte” que “j’ai eu +15 % d’augmentation”. Pourtant, une directive européenne vient bousculer ce silence pudique : d’ici 2026, les entreprises devront jouer cartes sur table. Salaire affiché dès l’offre d’emploi, critères de rémunération accessibles à tous, fin des clauses de confidentialité… La grande lessiveuse de la transparence est lancée.
Objectif affiché : réduire les écarts de rémunération entre femmes et hommes, encore estimés à plus de 13 % dans l’UE. Derrière la mesure, une conviction : la lumière fait reculer l’injustice.
Le casse-tête RH
Mais si la transparence est belle en théorie, elle effraie en pratique. Du côté des DRH, l’inquiétude est palpable : comment expliquer que deux personnes au même poste n’ont pas exactement le même salaire ? Quels critères retenir : ancienneté, performance, rareté de la compétence ? Et surtout… comment l’expliquer sans déclencher une guerre interne ?
Les salariés, entre curiosité et anxiété
Côté collaborateurs, l’idée séduit : qui ne rêve pas de savoir combien gagne son voisin de bureau ? Mais la transparence n’est pas sans effet pervers. Découvrir que l’on est payé moins que son collègue peut motiver… ou démoraliser.
Une enquête menée récemment* par Terra Nova et Apec montre que les salarié·es favorables à la transparence attendent avant tout de la justice, pas forcément une égalité parfaite. Tant que les différences sont justifiées et compréhensibles, elles sont acceptées. En revanche, les écarts inexpliqués deviennent explosifs.
*« un salarié sur deux (49 %) juge opaques les raisons qui expliquent les augmentations dans leur entreprise » ; cela crée des doutes quant à la justice ou l’équité des politiques de rémunération. Les salarié·es « s’interrogent sur l’évolution de leur rémunération, sur ses critères, sur sa justice autant que sur sa justesse ». Lire la synthèse de l’enquête.
Source : Apec & Terra Nova, 2025
PME vs grandes entreprises : David contre Goliath
S’ajoute à la dimension RH la facette administrative. Les multinationales disposent déjà d’outils de reporting sophistiqués ; pour elles, la directive européenne est une formalité. Mais pour les PME, c’est une autre histoire : comment produire des statistiques fines sur les écarts salariaux quand on ne compte que 120 salarié·es, dont trois ingénieurs et deux commerciaux ? Le risque est réel de transformer les dirigeants de PME en comptables de données RH.
Une révolution culturelle
Au fond, ce qui change n’est pas seulement administratif, mais culturel. Pendant des décennies, la rémunération était considérée comme une affaire privée, presque intime. Désormais, elle devient un indicateur collectif, une matière à débat et à régulation.
C’est un choc générationnel : les jeunes diplômés, élevés dans l’ère des classements en ligne et des avis comparatifs, ne comprennent pas pourquoi le salaire resterait opaque. À l’inverse, leurs aînés redoutent que la transparence ne tue la négociation individuelle.
Un futur à construire 🎯
Dans un monde où les attentes salariales, le rapport au travail et les modes de collaboration évoluent rapidement, bâtir des pratiques adaptées à des équipes plus diverses, des organisations plus flexibles et des aspirations plus affirmées sera l’un des défis de demain.
Loin d’être un simple impératif légal, la transparence sur les rémunérations peut devenir un levier de confiance et d’engagement. Donner accès aux critères qui fondent les rémunérations, expliquer clairement les écarts et partager les évolutions possibles, c’est répondre à une attente croissante de justice et de cohérence.
La transparence ne signifie pas uniformité, mais lisibilité : chacun doit comprendre pourquoi il est payé comme il l’est et comment progresser.
Certaines entreprises jouent déjà le jeu : elles publient ouvertement leurs grilles de salaires, et certaines vont même jusqu’à décider collectivement de la rémunération des dirigeants. Ces initiatives montrent qu’une autre voie est possible, où la clarté ne fragilise pas l’entreprise mais la renforce.
C’est ce langage clair, partagé et assumé qui peut transformer le rapport au travail et la culture de l’entreprise, pour devenir une force, en installant un climat de confiance.
Dans ce schéma de pensée, la transparence des salaires ne serait alors pas une punition pour les employeurs, mais une chance… à méditer !
Pour aller plus loin...
=> Découvrir les solutions de compétences externalisées ou recrutées dans les métiers RH de Parteam
. L’enquête Terra Nova & APEC : attentes des salariés du privé et du public en matière de transparence des rémunérations
. Le Monde (9 avril 2025) — Article « Transparence salariale : salariés et entreprises sont loin d’être prêts »
. ANDRH (06 juin 2024) — « Que va changer la directive sur la transparence des rémunérations ? » (détail des mesures à venir)
. Le Monde du Droit (dé. 2024) — « Rémunération : partage de la valeur et transparence salariale ». Analyse juridique : Approche droit/égalité
. 3 exemples concrets d’entreprises ayant mis en place une « culture de transparence salariale », voire allant jusqu’à une rémunération décidée collectivement :
– Dalibo (France, coopérative informatique) : consultation ouverte des fiches de paie et grilles de rémunération, décisions collectives de fixation des salaires
– Les‑Tilleuls.coop (France, coopérative tech) – modèle de gouvernance partagée : décisions collectives des salaires et profitsmensuelles
– Sharetribe (Finlande / start-up internationale plateforme SaaS) : transparence des salaires internes, critères explicites, égalité de traitement…