La prochaine révolution du management serait-elle sa disparition ? Le concept d’holacratie remet en cause les organisations pyramidales au profit d’une responsabilité collective, où les compétences remplacent la hiérarchie. Une façon de redonner du sens et de l’engagement aux collaborateurs, solution indispensable pour éviter le désamour et le départ des salariés.
La table ronde plutôt que la pyramide
En 1983, l’équipe brésilienne des Corinthians décide d’envoyer un message fort contre la dictature militaire en place en adoptant un mode de gouvernance novateur remettant en cause les excès d’autorité : les joueurs décident désormais eux-mêmes, de façon collective, de la façon de préparer les matchs, de la composition de l’équipe, et même de l’entraîneur… Des années plus tard, le bien nommé capitaine de l’équipe, Socrates, reviendra sur l’expérience : « Nous exercions notre métier avec plus de liberté, de joie et de responsabilité. » L’holacratie, c’est exactement ça.
Le terme n’a été inventé que bien longtemps après, aux débuts des années 2000, par le chef d’entreprise Brian J. Robertson. Son objectif était de mettre en place un système donnant plus de place et de responsabilités aux salariés, chacun oeuvrant pour atteindre un but commun et non pour répondre aux ordres de son manager. Il n’y a d’ailleurs, dans son système, ni manager, ni organigramme. L’anarchie, alors ? Pas tout à fait.
Si la pyramide disparait, l’holacratie n’est pas pour autant dépourvue de forme. La structure traditionnelle est remplacée par des « cercles de compétences ». Chaque cercle regroupe des collaborateurs disposant d’objectifs et des rôles définis mais, nouveauté, travaille de manière indépendante pour les atteindre, sans qu’une strate « supérieure » ne vienne lui dicter la façon dont elle doit travailler. Les décisions sont prises en interne et, autre innovation, de façon collégiale. Pas de chef désigné mais un leader de cercle et la mise en place des réunions de gouvernance, durant lesquelles chacun est libre de parler sans qu’un avis ne soit considéré comme supérieur aux autres. Autre liberté, les salariés peuvent, en fonction des missions et de leurs talents, enfin utilisés à bon escient, passer d’un cercle à l’autre, sans les lourdeurs administratives et les délais habituels.
Pas de manager ou de N+1, donc, mais des rôles, comme le « leader de cercle », en charge de l’objectif global, le facilitateur, qui s’assure de la bonne collaboration de chacun, et le secrétaire, chargé de communiquer les résultats du cercle auprès des autres cercles. Des attributions aux noms un peu ésotériques qui peuvent semer le doute : le « leader » est-il un manager qui ne dit pas son nom, et le secrétaire un N+2 qui n’assume pas ? Après tout, vu de loin, les cercles de compétences ressemblent bien à des business unit…
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Un changement aussi intellectuel que structurel
Pour que le concept de Brian J. Robertson soit efficace, il faut, autant que l’organigramme, changer les mentalités. Les structures de l’holacratie, effectivement proches des organisations traditionnelles, ne sont utiles que si les salariés « jouent le jeu ». Bernard Marie Chiquet, fondateur d’iGi Partners, un institut qui accompagne le développement de l’holacratie en France, précise le changement de paradigme : « La hiérarchie est basée sur la dualité gouverné/gouvernant. L’holacratie est une autre pratique sociale basée sur l’idée d’unité : chaque personne se gère elle-même ».
Une autonomie et une responsabilisation qui fait reconsidérer l’ensemble des relations professionnelles. Libéré de l’organigramme, le salarié n’est plus considéré comme titulaire d’un poste, mais comme responsable d’un rôle, d’une mission. Il doit l’accomplir mais peut, dans les limites d’un cadre défini, le faire de la façon qu’il le souhaite. Ce gain de liberté (une revendication commune des jeunes salariés) pousse à davantage de créativité, de flexibilité, et au final d’implication et d’engagement vis-à-vis de l’entreprise. Cette nouvelle façon de penser sa place et son quotidien, avec des rôles clarifiés, répond par ailleurs à l’un des grands maux du monde du travail : la question du sens. Chacun sait ce qu’il fait, et pourquoi il le fait. Bien sûr, l’autonomie n’est pas complète, et le salarié devra répondre de son travail auprès du « leader », qu’il est in fine possible d’assimiler à un manager. Mais cela sera fait au sein d’un cercle restreint, sans avoir besoin de faire appel à un supérieur lointain, parfois basé à l’étranger, dont les décisions ne seraient ni justifiées ni expliquées…
Ce rapport nouveau entre les salariés évite aussi les conflits liés à l’abus d’autorité et aux egos de ses membres. Les réunions de gouvernance, plus ouvertes que les entretiens managers- collaborateurs, permettent d’aborder des problèmes individuels ou collectifs de vie au travail, et d’y apporter rapidement des réponses. Un avantage de plus qui semble faire de l’holacratie un système idéal, et même « évident ». Hélas, dans la réalité, tout n’est pas aussi parfait…
Réussite et écueils d’un système en construction
L’holacratie est en place, à des stades plus ou moins avancés, dans des entreprises du monde entier depuis un peu plus de quinze ans. En France, des groupes comme Auchan ou Danone ont ainsi mis en place l’holacratie pour une partie de leurs activités. Les résultats sont la plupart du temps positifs, avec une meilleure productivité, une amélioration du travail d’équipe et de la satisfaction des salariés.
Il existe toutefois des contre-exemples. En 2015, chez Zappos, marchand de chaussures en ligne filiale d’Amazon, l’holacratie fut imposée aux salariés (plus de 200 salariés sur les 1500 que comptait l’entreprise décidèrent de partir à ce moment-là). L’expérience fut arrêtée moins de deux ans plus tard, les dirigeants estimant que les salariés étaient trop centrés sur eux-mêmes et ne pensaient plus assez aux clients. Preuve que l’équilibre à trouver n’est pas simple : la liberté n’exclut pas la responsabilité, la fin des managers ne signifie pas la fin du management, et le but final de l’entreprise reste le chiffre d’affaires et la rentabilité pour assurer la pérennité de l’ensemble.
Pour que le changement soit pérenne, compris et accepté par tous, plusieurs facteurs doivent être réunis. Un manager, privé de son autorité, peut s’estimer délégitimé et remis en cause, au point de démissionner. De l’autre côté, l’autonomie n’est pas une évidence pour tous. La structure verticale, si elle peut effrayer, rassure aussi : un salarié, libre de s’organiser seul, peut se retrouver paralysé, préférant avoir des instructions claires à suivre. Il semble donc utile et nécessaire de fixer un cadre (ou des règles du jeu) dans lequel le collaborateur va s’épanouir. Il pourra user d’une certaine liberté, se montrer créatif, tout en oubliant pas qu’il doit rendre des comptes et justifier ses actions pour le bien commun de l’organisation.
Pour que l’holacratie soit efficace et porteuse de résultats positifs, elle doit être accompagnée d’une pédagogie mettant en avant les droits et les devoirs. Il est aussi indispensable de communiquer constamment et de définir précisément la charge de travail. Dans une organisation qui définit ses salariés par ce qu’ils ont à accomplir, rien de pire que de donner trop ou pas assez de travail à un salarié.
Enfin, il est possible que l’holacratie ne soit tout simplement pas compatible avec certaines entreprises. Le fait de prendre les décisions de façon collégiale est une avancée « démocratique », mais aussi un facteur de retard : prendre une décision à dix est plus long que de le faire tout seul… C’est notamment pour cette raison que les grands groupes ne pensent pour le moment pas à appliquer l’holacratie de façon globale, mais plutôt à certaines entités.
Avant d’imaginer mettre en place une « holacratie totale », en partant du postulat que cette solution est la voie pour mieux engager et fidéliser les collaborateurs (ce qui reste à prouver), il faudra que les mentalités évoluent. Ce système de responsabilisation, d’intelligence collective et d’autonomie n’est possible que dans un climat de confiance, de clarté, de transparence, de prise en compte de l’autre et de respect mutuel. Pas de chef, mais des capitaines, pas des supérieurs hiérarchiques, mais des leaders comprenant les aspirations de chacun et travaillant dans un but commun.
Faut-il, pour progresser, prioriser dans un premier temps les convictions plutôt que les résultats ? Lors de la finale du championnat 1983, les Corinthians arboraient sur leurs maillots le slogan « gagner ou perdre, mais toujours en démocratie ». Bien sûr, ils ont gagné.
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Sources :
- https://innovrh.fr/holacratie-quest-ce-que-lholacratie-definition/
- https://www.journaldunet.fr/management/guide-du-management/1204818-holacratie-definition-exemples/
- https://start.lesechos.fr/apprendre/gagner-leadership/holacratie-ces-entreprises-qui-ont-revolutionne-leur-management-1176673